Amendement « Pièces de réemploi » : l’ANEA rassure, la FFC s’insurge

Alors que l’amendement n°798 du projet de loi “Royal” sur la Transition énergétique a pris tous les représentants des métiers de la réparation automobile de court, le temps est aux réactions et, si l’ANEA y voit une bonne raison de remettre une dose de sécurité dans la mission des experts, la FFC-Réparateurs rejoint la FNAA dans ses inquiétudes quant à l’obligation de proposer les pièces réemploi et aux sanctions pécuniaires en cas de manquement…

« Le “Landerneau” professionnel s’est réveillé dernièrement lorsque lui a été transmis par voie de presse le texte d’un amendement au projet de loi sur la transition énergétique. » On ne saurait faire plus clair que la FFC-Réparateurs pour évoquer l’état de stupeur dans lequel s’est retrouvé la profession de réparateurs lorsqu’a été publié, sur le site de L’argus en début de mois, la teneur du fameux amendement n°798 sur la pièce de réemploi (PRE) du projet de loi porté par Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie.

Le CNPA et la FNAA n’avaient pas (trop) tardé à réagir par voie de communiqué, mais il manquait encore la voix de la FFC-Réparateurs au chapitre des (logiquement) mécontents. Car, malgré la bonhommie avec laquelle celle-ci rappelle, dans son propre communiqué« qu’il s’agit d’un amendement parmi tant d’autres, qui suivra bien naturellement le processus d’adoption de tout projet de loi » et que « les aléas de ce processus sont bien connus… », la fédération de carrossiers s’élève elle aussi contre les fameuses sanctions économiques infligées aux contrevenants de la loi si l’amendement venait à être voté définitivement.

La PRE : objet de propositions et de négociations

« Encore faut-il un élément prouvant que cette obligation n’a pas été respectée. Un document contre signé par le client, une mention sur la facture… ? Or ce point essentiel n’est pas précisé dans le texte même de l’amendement, s’agace la FFC-Réparateurs. Donc, même si des dispositions interviennent par après, l’application des dispositions de cet amendement sera compliquée voire compromise », rejoignant ainsi l’analyse qui était la nôtre dans notre premier article sur le sujet, en date du 4 juin.

Et la FFC-Réparateurs de rappeler, comme le CNPA et la FNAA, que les professionnels de la réparation proposent régulièrement à leurs clients sinistrés la réparation à l’aide de pièces de réemploi, « élément de plus en plus incontournable dans une situation économique globale qui n’est pas bonne et où les consommateurs sont très attentifs à la dépense » et objet, depuis plusieurs mois (voire années…) de réunions entre représentants officiels des fédérations de réparateurs et représentants des experts, du moins ceux de l’ANEA et du BCA. Des réunions visant à « déterminer un processus d’utilisation de la pièce de réemploi ; processus normé et destiné à permettre l’utilisation de cette pièce en toute sécurité ».

La PRE pas si écologique…

Tout en suggérant volontiers naïvement que l’assureur incite lui-même à l’usage de PRE auprès de son assuré « en proposant des polices d’assurance au montant adapté », la FFC-Réparateurs ne se fait guère d’illusions sur qui se cache derrière le soutien de l’amendement. L’ombre des assureurs plane bien trop sur la polémique pour n’être vraiment qu’une simple ombre. « Les assureurs vont encore jouer les avocats de l’écologie, déplore Stéphane Chalmel, vice-président national de la FFC-Réparateurs et carrossier dans les Pyrénées-Orientales. Seulement, lorsqu’un réparateur se fournit en pièces neuves auprès d’un même fournisseur, l’empreinte carbone reste limitée », plaide-t-il, fort de sa propre expérience.

En effet, celui qui est aussi président de la FFC-Réparateurs de son département y a été confronté pas plus tard que cette semaine et s’est trouvé en difficulté ne serait-ce que pour trouver la référence des pièces recherchées dans le stock de Caréco. « On veut nous imposer la PRE mais personne ne s’est posé la question du délai d’attente pour avoir toutes les pièces nécessaires au remplacement de celles endommagées, s’insurge-t-il. Sans oublier que lesdites pièces ne sont pas toutes disponibles au même endroit et lorsqu’il faut les faire transporter depuis des régions différentes, l’empreinte carbone s’alourdit d’autant plus et la pièce n’a plus grand-chose d’écologique… »

…ni si économique ?

A en croire le vécu de Stéphane Chalmel, la pièce de réemploi n’aurait même pas toujours une vertu économique : tout dépend de son état et de celui du véhicule sur lequel la monter.« Poser une pièce de réemploi nécessite plus de main d’œuvre qu’une neuve, c’est aussi plus de produits –peinture, vernis, etc.– à employer donc cela alourdit la facture, et ce, d’autant plus lorsqu’il faut remettre en état la pièce car l’élément peut avoir déjà été réparé, donc mastiqué, et sans obligation, nous n’aurions peut-être même pas pris la peine de la proposer au client à partir d’un certain coût. »

C’est pourquoi Stéphane Chalmel préfère proposer de la PRE dans des cas précis et la négocier tant avec le client qu’avec l’expert. « Dans le cas d’une procédure VGE, par exemple, le client est plus compréhensif car il se rend compte de l’ampleur des travaux à effectuer, il est plus souple dans les délais qu’il veut bien nous accorder alors, à partir de là, je peux travailler plus tranquillement avec de la pièce de réemploi : je réclame le temps nécessaire et, en général, l’expert n’y voit pas d’objection. »

L’ANEA calme le jeu

Sentant l’opportunité de faire entendre leurs voix, l’ANEA et les experts en automobile « unis en son sein […] soutiennent l’amendement n° 798 voté le 15 mai ». Et surtout, selon le communiqué de l’Alliance, ils « tiennent à rassurer toutes les parties prenantes (assurés, réparateurs, assureurs) en rappelant que leur rôle reste prépondérant et déterminant tant vis-à-vis de la garantie de qualité des prestations de réparation, que de la sécurité des automobilistes ». Un discours médiateur finalement proche de l’ADN du métier d’expert mais que l’on entend généralement peu de la part de la fédération.

Mais sans fard, elle confirme tout le bien qu’elle pense dudit amendement. « La loi via cet amendement donne l’impulsion qui manquait à l’usage des pièces de réemploi dans les opérations de maintenance et de réparation des véhicules automobiles », assure le communiqué. Avant de justifier sa prise de parole en tant que professionnels a priori garants de la sécurité routière des véhicules : « A ce titre, les experts en automobile, profession placée sous la responsabilité des pouvoirs publics, sont déjà parfaitement habitués, à intégrer la pièce de réemploi quand cela est opportun et non préjudiciable, réaffirment que cela ne peut se faire au détriment de la qualité de la réparation et de la sécurité routière ».

…mais quel double jeu

Cette qualité de la réparation et de la sécurité routière, quoiqu’une fédération professionnelle d’experts ne puisse officiellement faire autrement que la revendiquer, apparaîtra aux réparateurs un argument assez cocasse lorsque ceux-ci font face à des experts-conseil d’assurance qui tirent les tarifs vers le bas au détriment, parfois, de la sécurité routière comme de la qualité de la réparation… Et ils souriront plus ou moins franchement en lisant que le communiqué présente là une « profession placée sous la responsabilités des pouvoirs publics », lorsque le premier à superviser le travail de l’expert est l’assureur qui le mandate plutôt que l’Etat lui-même. Une supervision, bien sûr, économique plus que sécuritaire.

Nul ne s’étonnera donc, parmi les réparateurs, de lire que « dès lors où il sera question pour le ministère d’écrire le décret d’application qui fixera les modalités d’application de l’article de loi correspondant, l’ANEA demande impérativement à être impliquée ». En effet, non seulement les fédérations représentatives de la profession d’expert sont légitimes pour déterminer en Conseil d’Etat les catégories de pièces concernées par le possible futur décret d’application de cette possible future loi, mais les plus garnies d’experts-conseils d’assurance s’y sentiront d’autant plus légitimes que leurs donneurs d’ordres n’y seront sans doute pas conviés. Il faudra bien, alors, que leur voix trouve son chemin vers le cercle restreint des discussions.